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Assurance-vie : La loi Sapin 2, un signal envoyé aux assureurs plutôt qu'une vraie menace

Achevé de rédiger le 29/09/2016

La loi Sapin 2 est davantage un signal envoyé aux assureurs-vie et aux épargnants qu’une vraie menace à court / moyen terme

La possibilité de bloquer les rachats sur les contrats d’assurance-vie n’est pas une nouveauté sur le plan réglementaire. Quant à la régulation des taux servis par les compagnies, la loi Sapin 2 est davantage un « chiffon rouge » à ce stade qu’une réelle menace pour les assureurs-vie en raison de l’absence de critères objectifs de mesure associés.

Dans le contexte actuel de très faible niveau des taux d’intérêts (l’OAT à 10 ans étant à 0,12 % au 28 septembre 2016), la loi Sapin 2 envoie un message négatif aux épargnants en leur laissant penser que la partie de leur épargne investie sur des fonds en euros (globalement 81 % de l’assurance-vie) serait en situation de risque (ou pourrait le devenir). Faut-il pour autant s’affoler ? Que penser des dispositions intégrées dans ce projet de loi ?

La possibilité de bloquer les rachats sur les contrats d’assurance-vie n’est pas une nouveauté en soi. Elle figure de longue date dans le Code Monétaire et Financier. Rappelons que cette disposition a failli être appliquée en 2008 lors du krach boursier découlant de la crise des subprimes aux Etats-Unis. La loi Sapin 2 a élargi cette disposition en y intégrant le blocage possible des arbitrages ou des demandes d’avance.

Paradoxalement, le législateur prévoit aujourd’hui de pouvoir bloquer les sorties de fonds en euros, alors même que les assureurs-vie (encouragés en cela par leurs autorités de contrôle) font tout pour limiter les investissements de leurs client sur des fonds en euros d’une part et poussent des derniers à arbitrer des fonds en euros vers des unités de compte d’autre part. Dans la situation actuelle, toute baisse des encours en euros crée de la richesse en raison des niveaux très élevés de plus-values latentes sur les obligations en portefeuille. Vendre des obligations en stock est tout sauf une difficulté pour un assureur-vie aujourd’hui. Il n’y aurait aucune menace de faillite pour le secteur en découlant.

Le vrai sujet visé par la loi Sapin2 est celui d’une remontée des taux d’intérêts. Faudrait-il encore qu’elle ait lieu et qu’elle soit brutale. Nous vivons depuis plus de deux années une grande mise en scène trimestrielle de la Fed qui annonce qu’elle va peut-être monter ses taux… finalement pour annoncer qu’elle reporte sa décision au trimestre suivant. La situation économique mondiale médiocre conduit aujourd’hui davantage à une forme de « guerre des devises » avec des politiques très accommandantes au niveau des taux d’intérêts visant à soutenir les exportations. La situation en Europe n’est guère plus favorable. Une remontée brutale des taux conduirait à une asphyxie d’économies déjà bien convalescentes.

Une remontée des taux est effectivement probable un jour, mais ce jour n’est pas encore là. La loi Sapin 2 aurait probablement mieux fait de s’atteler à trouver des mesures efficaces pour soutenir la dynamique entrepreneuriale en France et la croissance plutôt qu’à envoyer très en avance (probablement de 3 à 5 ans) un message concernant un risque potentiel dont la réalisation n’a rien de certain.

Les assureurs-vie ont toute capacité à absorber une éventuelle remontée graduelle des taux grâce à la fois au mécanisme même des fonds en euros (qui permet de lisser les investissements d’hier avec ceux d’aujourd’hui) et aux réserves importantes existantes. Good Value for Money estime le cumul de rendement en réserve sur les fonds en euros à 6,2 % fin 2014 grâce au cumul des provisions pour participation aux bénéfices (2,1 %), de la réserve de capitalisation (1,2 %), des plus-values latentes immobilières (1,0 %) et des plus-values latentes sur actions (1,7 %). Notons également que les assureurs-vie gardent pas mal de liquidités aujourd’hui, car ils n’arrivent que difficilement à investir de manière satisfaisante les flux de collecte qui arrivent.

Le deuxième sujet de fond (et nouveau en ce qui le concerne) intégré dans la loi Sapin2 est la possibilité pour les régulateurs de moduler les dotations et les prélèvements réalisés par les assureurs-vie sur leurs provisions pour participations aux bénéfices (PPB). En l’absence de critères quantitatifs et objectifs, ce dispositif nous semble difficile à appliquer.

Rappelons que certains assureurs-vie font le choix de garder d’importantes plus-values latentes (sur immobilier et actions) en réserve plutôt que de les réaliser et de doter la PPB. Devrait-on demander ces assureurs-vie de doter leur PPB, alors même qu’ils ont des réserves par ailleurs ? Pourrait-on imposer à ces assureurs-vie de vendre des actifs (biens immobiliers, actions…) afin de dégager des plus-values et de doter subséquemment leur PPB ?

L’autre point délicat concernant ce dispositif est celui de savoir ce qu’on fera à terme de toutes ces provisions pour participation aux bénéfices (PPB) qui vont ainsi s’accumuler. Certains assureurs-vie ont d’ores-et-déjà 5 % de PPB en réserve, c’est-à-dire la capacité à servir plus de deux années de rendement sur leurs fonds en euros. Doit-on demander à ces assureurs d’aller encore plus loin ? Par ailleurs, comment organisera-t-on la restitution un jour de cette PPB aux épargnants ?

Le sujet de fond qui est derrière est que la PPB constituée aujourd’hui grâce à des actifs achetés hier via l’épargne de certains clients risque d’être restituée (d’ici 3 à 5 ans voire 8 ans ?) à des épargnants qui seront venus chercher un effet d’aubaine.

A ce jour, les assureurs-vie ont tendance pour certains d’entre eux à « faire tourner leur PPB » sur 8 années afin de ne pas la restituer et de préserver ce matelas de sécurité. Est-ce réellement sain, tant pour les assureurs-vie que pour leurs régulateurs de ne pas restituer des sommes qui appartiennent légalement aux assurés ?

Le vrai risque derrière tout cela est celui de l’explosion de contentieux de la part d’épargnants attaquant leur assureur-vie afin de demander la restitution de sommes « excessivement » mises de côté sous prétexte de sécurisation du secteur.

Cyrille Chartier-Kastler

Fondateur du site GoodValueforMoney.eu spécialisé sur les assurances de personnes

Rédigé par Cyrille Chartier-Kastler

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